Nikozitambirwa

Friday, February 17, 2006

Pasteur Bizimungu - Le prisonnier d'opinion le plus connu du Rwanda


L’ancien président rwandais Pasteur Bizimungu (à droite) et son avocat Maître Jean Bosco Kazungu.

Le procureur avait requis la perpétuité. Ce sera quinze ans de prison, une peine «exemplaire», pour Pasteur Bizimungu mais aussi pour tous ceux qui seraient tentés de défier l’Etat-FPR, comme l’a fait l’ancien président, en tentant de créer un parti politique indépendant après avoir servi de caution hutu au pouvoir né de la victoire militaire du Front patriotique rwandais (FPR) sur les artisans du génocide. Démissionné en mars 2000, Pasteur Bizimungu avait cédé la place de chef de l’Etat à son omnipotent vice-président, le général Paul Kagame, pour être jeté en prison trois mois plus tard, sur une accusation de «divisionnisme ethnique», crime suprême au pays du génocide.

«J'ai retenu contre Pasteur Bizimungu cinq ans pour détournement de deniers publics, cinq ans pour des rumeurs incitant à la désobéissance civile et cinq ans pour association de malfaiteurs», détaille le président du tribunal Fred Mulindwa, justifiant ainsi une peine aussi accablante pour la justice rwandaise que pour l’accusé. Mais, sans doute pour éviter que le ridicule ne soit consommé, il ajoute que le président déchu et son ancien ministre des Transports Charles Ntakirutinka «ne sont pas coupables de semer la terreur ou de préparer la guerre visant à atteindre à la sûreté de l'Etat». Six autres co-accusés sont condamnés à cinq ans de prison pour l’association de malfaiteurs qu’ils auraient constituée en participant à la tentative de création du Parti démocratique du renouveau (PDR-Ubuyanja) et à la formation d’une milice, selon l’accusation.
Le 18 mai dernier, le parquet de Kigali avait requis la prison à vie contre Pasteur Bizimungu. Acquitté du chef d’inculpation d’atteinte à la sûreté de l’Etat, il n’en sortira pas pour autant de prison avant un âge avancé - il est né dans la préfecture de Gisenyi, au nord-ouest frontalier du Congo Kinshasa, en 1950. En quinze ans, il aura le temps de voir son avenir politique derrière lui, ou, au contraire, de prendre stature de «martyr», comme le suggèrent certains Rwandais. «Mon client pourrait faire appel mais nous n'avons pas encore pris de décision», indique son avocat, Jean-Bosco Kazungu qui a vu toutes ses demandes de remise en liberté rejetées depuis l’ouverture du procès, en octobre 2002. Pourtant, font observer les détracteurs du régime FPR, à sa disgrâce, au lieu de fuir à l’étranger, l’ancien chef de l’Etat s’est transformé en «gentleman farmer» sur ses terres provinciales. Pour le commun des Rwandais, toutes ethnies confondues, la mésentente aurait dû en rester là, au moins, disent certains, par respect minimum de la fonction présidentielle confiée à Pasteur Bizimungu de juillet 1994 à mars 2000.

Opiniâtre négociateur

Le bouillant Pasteur Bizimungu fut dans sa jeunesse rédacteur en chef de l'Office rwandais d’information (Orinfor), un service chargé de veiller au grain dans les médias, c’est-à-dire de délivrer la bonne parole du pouvoir et de censurer les mauvaises langues. Il s’en est trouvé d’autres, à son enrôlement au FPR, pour rappeler maintes fois que pendant ses études (de sciences économiques, de politique et de sociologie) en France, en 1973, Pasteur Bizimungu avait gardé des attaches avec les pourfendeurs de «revanchards tutsi». De retour au Rwanda, il avait en tout cas dirigé la société nationale de distribution d’énergie, Electrogaz, avant de se fâcher pour d’obscures raisons avec le pouvoir Habyarimana. Il aurait rejoint le FPR deux mois avant son offensive d’octobre 1990, physiquement en tout cas puisque la date de son ralliement «idéologique» n’est pas connue.
Au FPR, Pasteur Bizimungu s’est illustré comme commissaire à l’Information, mais surtout comme un opiniâtre négociateur, à Arusha, où les belligérants avait conclu un éphémère accord de paix en forme de partage du pouvoir, en août 1993. A l’époque, les partisans de Juvénal Habyarimana paraissaient très affectés par le rôle de Pasteur Bizimungu au FPR. Ce dernier affichait pourtant comme président un autre hutu en rupture de ban, le colonel Alexis Kanyarengwe. Mais Kigali réservait ses mots les plus durs au transfuge Bizimungu, originaire du Nord, comme le défunt président Habyarimana. C’est du reste visiblement pour cette même raison que le FPR l’a choisi, contre toute attente, le 19 juillet 1994, comme président de la République libérée des génocidaires. Pasteur Bizimungu devenait ainsi le troisième président du Rwanda indépendant, après Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana.
Après de nombreux autres, petits ou grands gêneurs, vrais ou faux suborneurs, génocidaires réels ou supposés, Premiers ministres récalcitrants ou partisans d’un véritable multipartisme, Pasteur Bizimungu s’est vu accuser de chercher à propager la haine ethnique. Lui-même reconnaît seulement avoir violé la législation sur les partis en créant une formation politique en dehors de toute autorisation. Suspendu à plusieurs reprises, son procès a en tout cas davantage reposé sur des témoignages à charge que sur des preuves matérielles, un témoin se rétractant d’ailleurs en cours d’audience en se déclarant contraint, d’autres se contredisant. «C'est un procès purement politique, et le verdict devra être analysé politiquement», estimait un militant rwandais des droits de l'Homme dès les premières audiences. Nul n’en doute, les cinq ans de prison pour «détournement de deniers publics» faisant sourire en ce pays de fortunes éclairs.
«Cinq ans pour des rumeurs incitant à la désobéissance civile», c’est aussi payer cher le bruit qui court. Quant aux cinq années supplémentaires pour «association de malfaiteurs», elles sonnent comme l’évitement politique de Pasteur Bizimungu. Sommé de taire ses opinions, l’ancien président est traité comme un voleur. Interdit de compétition dans la présidentielle qui a donné un score de parti unique au président Kagame en 2003, Pasteur Bizimungu apparaît finalement comme un concurrent potentiel et un prisonnier de conscience.

par Monique Mas
Something's rotten in the kingdom of Gihanga.

"Les nations, disait Mao Zedong, pourrissent comme les poissons, par la tête".

C'est bien là le mal rwandais (ce mal d'Etat, ce pourrissement par la tête, si évident, si avancé).

Abatabizi bicwa no kutabimenya.

Nikozitambirwa.

© RWANDANET 2006
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"L'homme, à mon avis, se perfectionne par la confiance. Par la confiance
seulement. Jamais le contraire." (Mustafaj)
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