Nikozitambirwa

Saturday, April 29, 2006

Histoire du Rwanda: Principales dates du vingtième siècle


1885: La Conférence de Berlin octroie le Rwanda (et le Burundi) à l’Empire allemand.

1895: Les Allemands s’installent au Rwanda et s’ingèrent militairement l’année suivante dans les luttes intestines de la monarchie rwandaise.

Septembre 1898: Les troupes britanniques chassent la mission française Marchand du Haut-Nil soudanais, à Fachoda.

1900: Les premiers Pères blancs s’installent à Save (sud-ouest).

1916: Après leur victoire contre les troupes allemandes pendant la première Guerre mondiale, la Belgique occupe le Ruanda-Urundi (territoires du Rwanda et du Burundi).

1923: La Société des Nations (SDN) donne mandat à la Belgique pour administrer le Ruanda-Urundi.

1925: La Belgique rattache administrativement le Ruanda-Urundi au Congo belge (actuelle République démocratique du Congo) et déporte au Congo de la main-d’œuvre rwandaise.

16 novembre 1931: La Belgique impose un roi christianisé, le mwami Mutara III, ainsi qu’un état-civil mentionnant l’appartenance aux communautés hutu, tutsi et twa que le colonisateur considère comme des ethnies.

1946: L’organisation des Nations unies transforme le «mandat» belge en «tutelle» sur le Ruanda-Urundi.

1950: Le Vatican consacre le Rwanda au «Christ Roi».

24 mars 1957: Un «manifeste des Bahutu» conteste les privilèges de la monarchie tutsi soutenue par la tutelle belge et réclame l’équité politique et économique ainsi que l’accès à l’éducation.

3 septembre 1959: Des monarchistes tutsi indépendantistes créent l’Union nationale rwandaise (Unar).

18 octobre 1959: Les partisans du manifeste de 1957 créent le Parti pour l’émancipation des Hutu (Parmehutu)

1er novembre 1959: La «révolution sociale» du Parmehutu se traduit par le massacre de Tutsi et la fuite en exil de milliers d’entre eux, en particulier au Burundi, en Ouganda et au Congo-Kinshasa. Le mwami Mutara III meurt opportunément dans la capitale burundaise, Bujumbura. L’éphémère Kigeri V lui succède. La Belgique lâche ses commensaux tutsi pour ancrer ses relations dans la majorité hutu.

30 juillet 1960: Le Parmehutu emporte plus de 70% des suffrages contre moins de 2% à l’Unar aux élections communales.

28 janvier 1961: A Gitarama, bourgmestres et conseillers communaux proclament la République en place de la monarchie, demandent l’instauration d’une Assemblée législative et d’une bannière nationale Rouge Jaune Vert frappée d’un R.

25 septembre 1961: Un référendum consacre la République. Des législatives donnent la majorité au Parmehutu.

26 octobre 1961: Grégoire Kayibanda du Parmehutu est élu président de la première République. Massacres et exil de Tutsi se poursuivent.

1er juillet 1962: L’indépendance du Rwanda est proclamée. Kigeri V part en exil.

1963: Le pouvoir Kayibanda exerce de sanglantes représailles contre des populations tutsi après de vaines tentatives de retour en force, conduites par des exilés à partir du Burundi. D’autres suivront en 1964, 1966 et 1967.

1965: Réélu à la magistrature suprême, Grégoire Kayibanda décrète le Parmehutu parti unique. Juvénal Habyarimana reçoit le portefeuille de la Défense et de la Garde nationale.

1969: Réélu pour la troisième fois, le président Kayibanda rebaptise le Parmehutu Mouvement démocratique républicain (MDR-Parmehutu).

Février 1973: Instauration de quota limitant l’accès des Tutsi à l’éducation et à l’emploi public.

18 mai 1973: Promulgation d’une Constitution autorisant le renouvellement sans limite du mandat présidentiel.

5 juillet 1973: Les auteurs d’un coup d’Etat militaire donnent le pouvoir exécutif au général-major Juvénal Habyarimana (le plus ancien dans le grade le plus élevé). Ce dernier crée son propre parti, le Mouvement révolutionnaire pour le développement (MRND). Grégoire Kayibanda et ses dignitaires sont condamnés à mort et la plupart exécutés.

18 juillet 1975: Sous le président Valéry Giscard d’Estaing, le président Habyarimana signe un accord particulier d’assistance militaire avec la France, un accord jamais paru au Journal Officiel.

20 décembre 1978: Adoptée par référendum, une nouvelle constitution (rédigée avec le concours de l’historien belge Philippe Reyntjens) institue un système de parti unique autour du MRND. Juvénal Habyarimana est «réélu» à la magistrature suprême.

6 février 1981: Lancement en Ouganda de la guérilla de Yoweri Museveni à laquelle participent notamment les Rwandais exilés Fred Rwigyema et Paul Kagame.

Octobre 1982: Le président ougandais Milton Obote expulse des milliers de réfugiés rwandais. Le président Habyarimana ferme la frontière rwandaise en invoquant «l’exiguïté» du territoire national. Beaucoup mourront dans un no man’s land frontalier.

1983: Juvénal Habyarimana est réélu à la présidence avec 99,98% des voix.

1er janvier 1984: Instauration d’un organe législatif, le Conseil national de développement (CND).

26 janvier 1986: En Ouganda, la National Resistance Army (NRA) de Yoweri Museveni chasse Milton Obote du pouvoir. La NRA (environ 14 000 hommes) compte dans ses rangs quelque 3 000 réfugiés rwandais. Le futur chef militaire du FPR, Fred Rwigyema, devient vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de Museveni et Paul Kagame, chef des services de renseignements militaires.

1987: En Ouganda, où la présence de Rwandais dans les plus hautes instances embarrasse désormais Museveni, l’Alliance rwandaise pour l’unité nationale (Ranu) (formée au Kenya en 1979) se transforme en Front patriotique rwandais (FPR).

1988: Juvénal Habyarimana est réélu à la présidence avec 99,98% des voix.

1er octobre 1990: Conduite par le major Fred Rwigyema, l’Armée patriotique rwandaise (APR) lance l’offensive sur le Rwanda, à partir de l’Ouganda.

2 octobre 1990: Le major Rwigyema est tué par une mine (selon le FPR) dans la région de Gabiro, à l’Est (dans le parc de l’Akagera), à quelque 80 kilomètres au nord de Kigali. Il est remplacé par le major général Paul Kagame.

4 octobre 1990: Les autorités rwandaises dénoncent une invasion étrangère, procèdent à de vastes rafles dans la communauté tutsi (7 887 personnes au total selon le bilan officiel final dont 4 300 relâchées en février 1991) et organisent une mise en scène pour faire croire à l’entrée du FPR à Kigali. La France reprend la thèse de l’agression extérieure et dépêche deux compagnies et un «élément militaire technique» dotés de mortiers dans le cadre de l’opération Noroît chargé d’évacuer ou d’assurer la protection des quelque 500 ressortissants français du Rwanda dont la majorité refuse de partir. Une compagnie de légionnaires français tient l’aéroport de Kigali et surveille les principaux axes routiers de la capitale.

5 octobre 1990: La Belgique dépêche 535 parachutistes pour assurer la protection de ses quelque 1 600 ressortissants.

10 octobre 1990: Des commandos zaïrois participent à la reprise de Gabiro par les gouvernementaux, les Forces armées rwandaises (Far).

13 octobre 1990: Kinshasa retire ses quelque 1500 soldats accusés de pillages.

18 octobre 1990: En visite à Paris, le président Habyarimana demande à la France d’intervenir militairement et de lui fournir du matériel militaire.

1er novembre 1990: La Belgique retire ses troupes et sa vingtaine d’instructeurs traditionnellement détachés au Rwanda.

3 novembre 1990: Le FPR s’empare du poste douanier rwandais de Gatuna, à la frontière ougandaise.

13 novembre 1990: Le président Habyarimana annonce la suppression de la mention d’appartenance communautaire (hutu, tutsi et twa) inscrite sur les cartes d’identité. Il promet le multipartisme.

22 novembre 1990: Ouverture de pourparlers de paix sous l’égide du président Mobutu mandaté par l’OUA et accepté par les deux belligérants.

3 décembre 1990: Le FPR choisit comme président le colonel Alexis Kanyarengwe. Hutu du Nord, il a participé au putsch de 1973 qui a porté Juvénal Habyarimana au pouvoir avant de tomber en disgrâce en avril 1980.

17 décembre 1990: Le FPR s’empare du poste frontière rwandais de Kagimata et s’incruste sur une mince bande de territoire au nord du pays, à la frontière ougandaise.

7 janvier 1991: Premières peines de mort et de détention de longue durée sur des accusations de complicité avec le FPR.

8 janvier 1991: L’opposition non armée (en majorité hutu) organise ses premières manifestations de masse à la date prévue pour le procès des quelque 1 500 personnes jetées en prison dans les rafles d’octobre 1990.

23 janvier 1991: Le FPR attaque Ruhengeri, libère les prisonniers et tient la ville une journée jusqu’à ce que les militaires français de l’opération Noroît interviennent et annoncent l’évacuation de quelque 200 ressortissants étrangers.

Janvier-mars 1991: Des représailles gouvernementales sanglantes font plusieurs centaines de morts dans la petite communauté des Bagogwe installée au nord-ouest et apparentée aux Tutsi.
Mars 1991: Paris installe à Kigali un Détachement d’assistance militaire d’instruction (DAMI). Le MDR-Parmehutu de Kayibanda refait surface dans l’opposition.

29 mars 1991: A N’Sele, au Zaïre, les belligérants signent un cessez-le-feu sous l’égide du président Mobutu. Un Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN) est créé par l’OUA pour veiller à son application.

30 avril 1991: Le FPR accuse le gouvernement de violer le cessez-le-feu de N’Sele.

10 juin 1991: Promulgation d’une nouvelle Constitution reconnaissant le multipartisme et créant la fonction de Premier ministre.

25 juillet 1991: Des officiers et des soldats français sont affecté «pour emploi… à l’entière disposition» de l’armée rwandaise et du président Habyarimana.

Fin 1991: Selon lui même, le colonel français Bernard Cussac, chef de la mission d’assistance militaire procède à l’interrogatoire de combattants FPR détenus à Kigali.

3 février 1992: Dans une note à l’ambassade de France, le général Habyarimana , qui vient d’abandonner le portefeuille de la Défense et de nommer un chef d’état-major, indique qu’il entend conserver comme conseiller personnel l’officier français en charge du DAMI attaché à l’armée rwandaise.

3 mars 1992: Radio Rwanda accuse le FPR d’avoir dressé une «liste noire» de personnalités à abattre et d’avoir planifié la déstabilisation du pays grâce à l’infiltration de «complices» appartenant aux partis de l’opposition intérieure. A l’instigation des miliciens Interahamwe et avec la complicité des gendarmes et des Far, des massacres de grande envergure commencent dans la région du Bugesera (sud est) où des Tutsi du Nord ont été déportés dans les années cinquante.

11 mars 1992: La communauté internationale s’émeut des massacres dans le Bugesera. Mais l’ambassadeur de France à Kigali, Georges Martres explique que les troupes françaises ne peuvent intervenir faute d’une décision politique modifiant leur cahier des charges.

17 mars 1992: Légalisation de la Coalition pour la défense de la République (CDR) qui rassemble les faucons du régime dans l’orbite du président Habyarimana.

16 avril 1992: Un Premier ministre issu de l’opposition, Dismas Nsengiyaremye (deuxième vice-président du MDR) forme le premier gouvernement multipartite, dit «de coalition» (contre le FPR) par le parti présidentiel (MRND). Outre le MRND et le MDR, trois partis d’opposition entrent dans ce gouvernement: le Parti libéral (PL), le Parti social démocrate (PSD) et le Parti démocrate-chrétien (PDC). Dans son discours-programme, Dismas Nsengiyaremye lui donne mission de négocier la paix avec le FPR et d’organiser les premières élections pluralistes du pays.

24 mai 1992: Le ministre des Affaires étrangères issu de l’opposition (MDR), Boniface Ngulinzira, ébauche un calendrier de négociations avec le FPR à Entebbe.

28 mai 1992: Trois partis de l’opposition intérieure ( MDR, PL, PSD) rencontrent le FPR à Bruxelles.

5 juin 1992: Le FPR s’empare de Byumba, à 70 kilomètres environ de Kigali, au nord-est du pays.

6 juin 1992: Paris envoie une compagnie (environ 150 hommes) en renfort au Rwanda.

6-8 juin 1992: Paris réunit, au centre de conférences international de l’avenue de Kléber, des représentants du président Habyarimana, du FPR et du gouvernement de «coalition» qui s’entendent pour ouvrir en Tanzanie le 10 juillet suivant des pourparlers de paix portant sur les questions de «l’unité nationale… la démocratisation… la fusion des deux armées en conflit… le gouvernement de transition à base élargie…».

10 juin 1992: Le ministère français de la Défense confirme la présence de troupes françaises à Byumba reprise au FPR.

12 juillet 1992: Première rencontre à Arusha (Tanzanie) des belligérants qui signent un cessez-le-feu, instaurent une commission politico-militaire mixte pour le surveiller à partir du 26 juillet suivant et fixent un calendrier de négociations dont le premier volet, politique, est prévu pour le 10 août 1992.

1er août 1992: Entrée en vigueur du cessez-le-feu décidé à Arusha.

11 août 1992: Déploiement du Groupe d’observateurs militaires neutres de l’OUA (GOMN).
18 août 1992: Le gouvernement et le FPR concluent un «Protocole d’accord relatif à l’Etat de droit» stipulant que «le peuple rwandais est un et indivisible», que «nul n’est au-dessus des lois», condamnant ethnisme et coup d’Etat et recommandant le multipartisme et l’alternance démocratique par les urnes.

20-21 août 1992: Massacres de Tutsi dans la région de Kibuye (centre-ouest).

26 août 1992: Paris et Kigali signent un avenant à l’accord militaire de 1975 qui élargit à l’ensemble de l’armée rwandaise le champ de l’assistance française, jusqu’alors officiellement limité à la gendarmerie.

Septembre 1992: A Arusha démarrent les négociations sur le partage du pouvoir entre le parti présidentiel (MRND), les partis d’opposition (MDR, PSD, PL, PDC) et le FPR.

22 septembre 1992: Dans une lettre au président Habyarimana, le Premier ministre du gouvernement de «coalition», Dismas Nsengiyaremye dénonce la militarisation des milices Interahamwe du MRND, la prolifération des armes de guerre et l’impunité des autorités locales impliquées dans les massacres de civils, tutsi pour la plupart.

11 octobre 1992: La CDR manifeste à Kigali contre Arusha et contre l’opposition intérieure.

12 octobre 1992: A Arusha, le gouvernement et le FPR paraphent le premier volet de l’accord de partage du pouvoir.

13 octobre 1992: Le FPR dénonce le survol de l’ancienne ligne de front par trois hélicoptères transportant une dizaine d’officiers des Far et un général français.

18 octobre 1992: Manifestation sanglante de la CDR à Kigali.

30 octobre 1992: Les partenaires d’Arusha ratifient un protocole d’accord sur le partage du pouvoir qui retire au président de la République l’essentiel de ses prérogatives au profit d’un Conseil exécutif. L’exécutif ressortit désormais du conseil des ministres où aucun des partis du futur gouvernement de transition «à base élargie» (à l’opposition non armée et au FPR) ne dispose d’une minorité de blocage. Il est convenu que le MRND recevra 5 portefeuilles (Défense, Enseignement supérieur, Fonction publique, Plan, Famille et promotion féminine). Le Premier ministre sera issu du MDR qui reçoit en outre trois ministères (Affaires étrangères, Enseignement primaire et secondaire, Information). Trois portefeuilles reviennent au PSD (Finances, Travaux publics et Energie, Agriculture et Elevage), trois autres au PL (Justice, Commerce, Industrie et Artisanat, Travail et Affaires sociales) et le ministère de l’Environnement et du Tourisme au PDC). Le FPR dispose quant à lui de 4 ministères (Intérieur et développement communal, Transports et communications, Santé, Jeunesse et mouvement associatif) et du secrétariat d’Etat à la Réhabilitations et à l’intégration sociale.

5 novembre 1992: Le parti présidentiel, le MRND, accuse le chef de la délégation rwandaise à Arusha, le ministre des Affaires étrangères, Boniface Ngulinzira (issu de l’opposition du MDR), de s’être entendu avec le FPR pour accaparer le pouvoir avec le protocole d’Arusha.

12 novembre 1992: Le MRND, la CDR et trois autres petits partis se rassemblent dans une Alliance pour le renforcement de la démocratie (ARD).

14-16 novembre 1992: Le FPR dénonce une tournée de militaires français dans plusieurs positions de l’artillerie Far, sur l’ancienne ligne de front.

15 novembre 1992: Le président Habyarimana dénonce le protocole d’accord de partage du pouvoir comme un «chiffon de papier».

19-20 novembre 1992: Des miliciens Interahamwe font plusieurs dizaines de blessés parmi des manifestants de l’opposition descendus dans les rues pour soutenir l’accord d’Arusha.

22 novembre 1992: A Gisenyi (nord), le vice-président du MRND, Léon Mugesera invite ses compatriotes hutu à donner la chasse aux opposants et à renvoyer les Tutsi ad patres, en les jetant dans les rivières.

24 décembre 1992: Le MRND du président Habyarimana conditionne son adhésion au protocole d’accord de partage du pouvoir par l’octroi de trois portefeuilles ministériels à la CDR.

1er janvier 1993: Les miliciens du MRND et de la CDR bouclent la capitale toute la matinée pour prouver qu’ils sont en mesure de bloquer Arusha.

9 janvier 1993: Les partenaires d’Arusha amendent l’accord du 30 octobre en instaurant un poste de vice-Premier ministre attribué au FPR et un code «d’éthique politique» dont la signature est proposée aux formations politiques absentes d’Arusha. Celles-ci recevraient en retour un siège chacune à l’Assemblée nationale (contre quatre au PDC et onze à chacun des autres partenaires d’Arusha).

18 janvier 1993: En réponse à une lettre de son homologue rwandais datée du 5 décembre 1992, le président François Mitterrand répond qu’après examen «des termes de l’accord de cessez-le-feu d’Arusha. Je ne veux pas qu’on puisse reprocher à la France d’avoir nui à la bonne application de l’accord, mais je souhaite vous confirmer que, sur la question de la présence du détachement Noroît, la France agira en accord avec les autorités rwandaises».

20 janvier 1993: Violentes manifestations Interahamwe à Kigali.

22 janvier 1993: Une commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme commises au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 établit des «actes de génocide perpétrés avec la participation d’agents de l’Etat et de militaires visant l’ethnie tutsi» et des crimes de guerre imputables aux deux belligérants.

8 février 1993: Le FPR invoque la poursuite de massacres de Tutsi pour lancer une offensive. Ses troupes parviennent à une vingtaine de kilomètres au nord de Kigali provoquant le déplacement de centaines de milliers de civils. Paris annonce le renforcement de son dispositif Noroît (environ 700 hommes).

15 février 1993: Le GOMN de l’OUA accuse les troupes françaises d’avoir conduit une offensive contre le FPR dans la région de Ruhengeri (Nord).

20 février 1993: Une compagnie de parachutistes français arrive de Bangui à Kigali avec une section de mortiers lourds.

22 février 1993: Sous l’égide de l’OUA et de la Tanzanie, les belligérants décident une trêve à partir de minuit.

7 mars 1993: Les belligérants signent un nouveau cessez-le-feu à Dar-es-Salam (Tanzanie). Le texte stipule le départ des troupes françaises «à partir du 17 mars 1993 dans un délai de huit jours» et le retour du FPR sur ses positions antérieures au 8 février (entre le 14 et le 17 mars sous la supervision du GOMN). La soixantaine de «coopérants» du Détachement d’assistance militaire et d’intervention (DAMI) échappent à ce dispositif.

9 mars 1993: Accusant le Premier ministre Nsengiyaremye de traîtrise, la CDR conclut que «la population rwandaise doit être initiée à la défense civile afin qu’elle contribue elle-même à sa propre sécurité avec les moyens que l’Etat doit mettre à sa disposition».

15 mars 1993: A Arusha, les négociations reprennent avec l’ouverture du volet militaire.

20 mars 1993: Départ d’une compagnie de soldats français.

25 mars 1993: Départ d’une deuxième compagnie de soldats français (il en reste deux sur place).

30 mars 1993: Le président Habyarimana abandonne la présidence du MRND à Mathieu Ngirumpatse.

2 avril 1993: L’ambassadeur de France aux Nations unies demande le déploiement d’un contingent international à la frontière ougando-rwandaise.

10 mai 1993: Signature du volet militaire des accords d’Arusha. L’intégration, dans l’armée (dont les effectifs sont fixés à 13 000 hommes) et la gendarmerie (6 000), des anciens combattants FPR et gouvernementaux se fera à parité dans la chaîne de commandement et à 40/60 en faveur du pouvoir dans la troupe. Le FPR déclare 15 000 hommes et le gouvernement 40 000.

18 mai 1993: Assassinat à Kigali du président du bureau politique du MDR et fondateur d’un forum «paix et démocratie», Emmanuel Gapyisi.

2 juin 1993: Election au Burundi du premier président de la République hutu, Melchior Ndadaye.

9 juin 1993: Signature à Arusha du dernier volet, le protocole d’accord sur le retour au Rwanda des réfugiés et celui des déplacés dans leurs communes d’origine.

22 juin 1993: La résolution 846 du conseil de sécurité crée la Mission d’observateurs des Nations unies au Rwanda installée à la frontière, côté ougandais, pour veiller à ce que Kampala n’appuie pas le FPR.

16 juillet 1993: Nomination d’Agathe Uwilingiyimana comme Premier ministre, en remplacement de Dismas Nsengiyaremye, en froid avec le dirigeant de leur parti d’opposition (MDR), Faustin Twagiramungu, lui-même Premier ministre «désigné» (à Arusha) du futur gouvernement de transition.

18 juillet 1993: Agathe Uwilingiyimana forme son gouvernement. Boniface Ngulinzira se retire en solidarité avec Nsengiyaremye. Il est remplacé aux Affaires étrangères par Anasthase Gasana (également MDR) qui lui succède à Arusha comme chef de la délégation gouvernementale.

20 juillet 1993: Fuite en exil du ministre de la Défense MRND, James Gasana, un civil qui invoque des menaces de mort émanant d’une faction de l’armée.

23-24 juillet 1993: Une faction «Hutu power» du MDR apparaît au grand jour avec un vrai-faux congrès et une vraie-fausse lettre de démission extorquée à Agathe Uwilingiyimana en vue de son remplacement par Jean Kambanda (condamné à la prison à vie par le TPIR le 1er mai 1998 pour son rôle à la tête du gouvernement «génocidaire» du 7 avril 1994).

25 juillet 1993: A Kinihira, à une trentaine de kilomètres au nord de Kigali, dans la zone tampon, le gouvernement et le FPR paraphent l’accord de paix.

30 juillet 1993: Le général Augustin Bizimungu est nommé ministre de la Défense au titre du MRND. Il deviendra chef d’état-major au début du génocide et attend son jugement devant le TPIR.

4 août 1993:Ratification solennelle à Arusha de l’Accord de paix éponyme. La Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) démarre ses émissions de propagande anti-Arusha.

5 octobre 1993: La résolution 872 du Conseil de sécurité crée une Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) forte de 2 500 casques bleus pour veiller à la bonne application des accords de paix d’Arusha.

10 octobre 1993: Le président Habyarimana remercie à Paris le président Mitterrand pour l’aide militaire de la France qui maintient deux compagnies à Kigali, pour «faire la soudure avec la force internationale neutre» de 800 casques bleus attendue en décembre.

21 octobre 1993. Au Burundi, le président Melchior Ndadaye est assassiné à Bujumbura par des militaires tutsi. A Kigali, la RTLM appelle à un soulèvement hutu général.

3 novembre 1993: Le chef militaire du FPR, Paul Kagame condamne le coup d’Etat du Burundi.
19 novembre 1993: Arrivée à Kigali d’un détachement de 370 casques bleus belges.

11-13 décembre 1993: Départ des deux dernières compagnies (300 hommes) de l’opération française Noroît. Une quinzaine d’officiers restent sur place, officiellement pour fermer les bureaux.

27 décembre 1994: Les factions Hutu Power du MDR et du PL (Justin Mugenzi notamment) s’affichent aux côtés du MRND dans un communiqué commun hostile à l’accord d’Arusha.

28 décembre 1993: Le FPR, et notamment son président, le colonel Alexis Kanyarengwe, vient prendre ses quartiers dans la capitale, conformément à l’accord d’Arusha qui lui attribue à Kigali des locaux du Conseil national de développement (CND, Assemblée nationale) et autorise la présence de 600 de ses soldats équipés de mitraillettes sur affûts antiaériens et de mortiers légers. pour assurer la sécurité de ses dignitaires.

1er janvier 1994: A New York, le Rwanda devient membre permanent du Conseil de sécurité pour deux ans.

5 janvier 1994: Le président Habyarimana prête serment à la nouvelle loi fondamentale, l’accord d’Arusha, mais rejette la liste des députés proposée par le Parti libéral au profit de celle de sa mouvance Hutu power.

6 janvier 1994: La résolution 893 du Conseil de sécurité autorise l’envoi de 1 000 casques bleus supplémentaires pour renforcer la Minuar.

8 janvier 1994: Les cérémonies d’investiture du gouvernement et de l’Assemblée nationale issus d’Arusha sont annulées pour cause d’absence du président Habyarimana chargé de les présider. Machette à la main, des manifestants conspuent l’opposition et le FPR

11 janvier 1994: Un télégramme du général canadien Roméo Dallaire en charge de la Minuar communique aux Nations unies ses informations sur un plan d’extermination des Tutsi (prévoyant la mise à mort possible de «mille personnes en vingt minutes»), de l’entraînement et de l’armement des miliciens interahamwe et de diverses manifestations organisées par des militaires et des gendarmes contre des opposants hutu et des casques bleus belges en vue de provoquer le FPR et de lancer une guerre civile. Il propose un raid sur les caches d’armes. En réponse, le chef de la Direction des opérations de maintien de la paix des nations unies (DOMP), Kofi Annan, lui rappelle les limites de son mandat et lui demande d’informer le président Habyarimana.

25 janvier 1994: L’organisation des droits de l’homme Human rights watch accompagne un rapport accablant d’une lettre ouverte au président français François Mitterrand en demandant que «la France révèle complètement la nature de son assistance militaire au Rwanda».

21 février 1994: Assassinat à Kigali du secrétaire général du Parti social démocrate (PSD), Félicien Gatabazi. L’investiture des nouvelles institutions prévue le lendemain est reportée sine die.

22 février 1994: En représailles à l’assassinat de Gatabazi, des militants du PSD tuent à Butare (Sud) le chef de la CDR, Martin Bucyana. Selon la Croix rouge, au moins 37 personnes, des Tutsi essentiellement, sont tuées dans des quartiers périphériques de Kigali.

6 avril 1994: Vers 20 heures trente locales, un tir de missile abat au-dessus de la villa présidentielle de Kanombe (dans la zone aéroportuaire) le Falcon 50 ramenant le président Habyarimana de Dar-es-Salam où il vient de s’engager à appliquer les accords d’Arusha devant ses pairs du Kenya, d’Ouganda, de Tanzanie et du Burundi. Les forces gouvernementales interdisent aux casques bleus l’accès aux lieux du crash. Le soir même de premiers barrages apparaissent dans les rues de Kigali. La RTLM affirme que ce sont des soldats belges qui ont abattu l’avion. Le colonel Théoneste Bagosora s’oppose à ce que le Premier ministre Agathe Uwilinigiyimana s’exprime à la radio nationale. Deux gendarmes français et l’épouse de l’un d’entre eux sont assassinés à leur domicile de Kanombe.

7 avril 1994: Début du génocide et liquidation physique systématique des Hutu de l’opposition partie prenante des accords d’Arusha, comme par exemple la Premier ministre (Hutu, MDR) Agathe Uwilingiyimana. Dix casques bleus belges chargés de la protéger sont tués par des militaires gouvernementaux. Le FPR offre ses services au général Dallaire mais annonce une offensive si les massacres ne cessent pas avant la tombée de la nuit.

8 avril 1994: Après le refus onusien d’entériner un coup d’Etat en reconnaissant l’exécutif militaire présenté par le colonel Bagosora au représentant spécial du secrétaire général de l’Onu, Jacques-Roger Booh Booh, les artisans du génocide annoncent que Théodore Sindikubgabo, désormais président de la République «par intérim», et Jean Kambanda désormais Premier ministre, ont désigné un nouveau cabinet gouvernemental «intérimaire» composés de faucons du Hutu power. Le FPR lance des offensives sur Ruhengeri (nord-ouest), Byumba (centre) et Gabiro (est). Une colonne de renforts partie de Mulindi (nord) arrive à pied au CND, à Kigali.

9-17 avril 1994: Opération française Amaryllis chargée d’évacuer les ressortissants français, mais aussi certains dignitaires rwandais comme la famille du défunt président Habyarimana transportée à Paris, via Bangui. Arrivés en même temps, des parachutistes belges terminent leurs évacuation le 13 avril.

11 avril 1994: Un détachement FPR envoyé de Byumba contourne Kigali et attaque au sud. Le gouvernement «intérimaire» se replie de Kigali sur Gitarama, à une soixantaine de kilomètres au Sud.

13 avril 1994: Le lieutenant-colonel Augustin Bizimungu est promu major-général et chef d’état-major des armées. Il demande un cessez-le-feu du FPR en échange de l’arrêt des massacres.

14 avril 1994: En réponse à la demande de renforts du général Dallaire, le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) de l’Onu exige un cessez-le-feu d’ici le 30 avril comme condition au maintien de la Minuar au-delà du 7 mai. La France appuie cette initiative.

16 avril 1994: Départ du contingent militaire belge de la Minuar (780 casques bleus).

21 avril 1994: La résolution 912 du Conseil de sécurité des Nations unies réduit les effectifs de la Minuar de 2 500 à 270 casques bleus.

4 mai 1994: A Paris, devant l’Assemblée nationale, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, pose un cessez-le-feu comme condition impérative à une intervention internationale.

11-12 mai 1994: En tournée à Kigali, le Haut commissaire des Nations unies au Rwanda, José Ayalo Lasso, qualifie les événements en cours de «génocide».

17 mai 1994: La résolution 918 du Conseil de sécurité crée une Minuar II, chargée de protéger les populations et prévoyant l’envoi sur place de 5 500 casques bleus.

22 mai 1994: Le FPR prend le camp militaire de Kanombe et avec lui l’aéroport de Kigali.

29 mai 1994: Le gouvernement «intérimaire» fuit Gitarama. Des milliers de Hutu fuient Kigali.

11 juin 1994: Paris appelle à un cessez-le-feu, au besoin par la force d’une interposition internationale à laquelle la France apporterait son concours.

20 juin 1994: Des éléments militaires français précurseurs arrivent à Goma, la jumelle zaïroise de la Rwandaise Gisenyi, au nord du lac Kivu.

22 juin 1994:La France obtient l’aval du Conseil de sécurité pour son opération Turquoise, avec la résolution 929 qui autorise une «intervention militaire humanitaire» de deux mois, officiellement pour assurer la protection des civils et procéder à des distributions d’aide alimentaire.

23 juin 1994: Début officiel de l’opération française «Turquoise» dans la «zone humanitaire sûre» délimitée au sud-ouest du pays, à la frontière zaïroise, à l’intérieur du triangle Kibuye, Gikongoro, Cyangugu. 450 hommes arrivent de Bangui à Goma (nord Kivu) et 150 parachutistes pré positionnés au Gabon débarquent à Bukavu (sud Kivu). Au total, un millier d’hommes est déployé sous la direction du général Jean-Louis Lafourcade.

27 juin 1994: Ancien chef de la cellule des gendarmes français de l’Elysée, le capitaine Paul Barril (désormais au service de la veuve du président Habyarimana) affirme que le FPR est l’auteur de l’attentat du 6 avril contre l’avion présidentiel et affirme détenir la boîte noire de l’appareil (en fait une antenne de navigation puisque l’Onu reconnaît aujourd’hui détenir la boîte noire).

4 juillet 1994: Le FPR prend Kigali. La France le somme de ne pas franchir les limites du dispositif Turquoise.

11 juillet 1994: Retour à Kigali du Premier ministre désigné par les accords d’Arusha, Faustin Twagiramungu.

17 juillet 1994: Le FPR prend Ruhengeri et Gisenyi, au nord du pays, à la frontière zaïroise et proclame un «cessez-le-feu unilatéral», c’est-à-dire la fin de la guerre. Plus d’un million de Hutu accompagnent les militaire et les miliciens qui se réfugient au Zaïre, avec armes et bagages.

19 juillet 1994: Formation d’un gouvernement «d’union nationale» avec Pasteur Bizimungu comme président de la République, Paul Kagame comme vice-président et ministre de la Défense et Faustin Twagiramungu comme Premier ministre.

20 juillet 1994: Une épidémie de choléra parmi les réfugiés hutu du Zaïre déplace l’attention internationale à Goma, au Zaïre, où opère une partie du contingent français de Turquoise.

22 août 1994: Fin de l’opération Turquoise. Quelque 500 militaires français restent à Goma, au Zaïre, où les soldats et miliciens de l’ancien régime organisent leur revanche.

8 novembre 1994: La résolution 955 du Conseil de sécurité institue le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) (après celui pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), créé le 25 mai 1993). Le TPIR est chargé de poursuivre les personnes responsables d’actes de génocide et autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda ou par des citoyens rwandais sur le territoire des Etats voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

24 mars 1957: Le Manifeste des Bahutu (Rwanda)

Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda

Des rumeurs sont déjà parvenues à l’autorité du Gouvernement par la presse et peut-être aussi par la parole au sujet de la situation actuelle des relations muhutu-mututsi au Rwanda. Inconscientes ou non, elles touchent un problème qui nous paraît grave, problème qui pourrait déparer ou peut-être même un jour torpiller l’œuvre si grandiose que la Belgique réalise au Rwanda. Le problème racial indigène est sans doute d’ordre intérieur, mais qu’est-ce qui reste intérieur ou local à l’âge ou le monde en arrive ! Comment peut-il rester caché au moment où les complications politiques indigènes et européennes semblent s’affronter ? Aux complications politiques, sociales et économiques s’ajoute l’élément race dont l’aigreur semble s’accentuer de plus en plus. En effet, par le canal de la culture, les avantages de la civilisation actuelle semblent se diriger carrément d’un côté, - le côté mututsi – préparant ainsi plus de difficultés dans l’avenir que ce qu’on se plaît à appeler aujourd’hui « les problèmes qui divisent ». Il ne servirait en effet à rien de durable de solutionner le problème mututsi-belge si l’on laisse le problème fondamental mututsi-muhutu.

C’est à ce problème que nous voulons contribuer à apporter quelques éclaircissements. Il nous a paru constructif d’en montrer en quelques mots les réalités angoissantes à l’Autorité Tutélaire qui est ici pour toute la population et non pour une caste qui représente à peine 14% des habitants. La situation actuelle présente un grand déséquilibre qui est créé par l’ancienne structure politico-sociale du Rwanda, en particulier le buhake, et de l’application à fond et généralisée de l’administration indirecte, ainsi que la disparition de certaines institutions sociales anciennes qui ont été effacées sans qu’on ait permis à des institutions modernes, occidentales correspondantes de s’établir et de compenser. Aussi, serions-nous heureux de voir s’établir rapidement le syndicalisme, aider et encourager la formation d’une classe moyenne forte. La peur, le complexe d’infériorité et le besoin « atavique » d’un tuteur, attribués à l’essence du Muhutu, si tant est vrai qu’ils sont une réalité, sont des séquelles du système féodal. A supposer leur réalité, la civilisation qu’apportent les Belges n’aurait réalisé grand’chose, s’il n’était fait des efforts positifs pour lever effectivement ces obstacles à l’émancipation du Rwanda intégral.

1. –Objections prétextées contre la promotion muhutu

Contre l’ascension du Muhutu, nombreuses sont les objections qu’on présente. Sans ignorer les déficiences du Muhutu, nous pensons que chaque race et chaque classe a les siennes et nous voudrions une action qui les corrige au lieu de refouler systématiquement les Bahutu dans une situation éternellement inférieure. On prétexte spécialement :

a) «Que les Bahutu furent chefs dans le pays.» Anachronisme raffiné que le présent ne peut confirmer suffisamment.
b) « Les vertus sociales du Mututsi qui le présenteraient comme natus ad imperium ! » - La même vertu peut être présentée autrement par un Italien que par un Allemand, par un Anglais que par un Japonais, par un Flamand que par un Wallon.
c) « Qu’ont fait les Bahutu évolués pour l’ascension de leurs congénères ? ? » - C’est une question d’atmosphère et du buhake particulièrement qui a souvent influencé le système des nominations. Ensuite, le manque de liberté suffisante d’initiative dans une structure absolutiste, l’infériorité économique imposée au Muhutu par les structures sociales, les fonctions systématiquement subalternes où ils sont tenus, handicapent tout essai du muhutu pour ses congénères.
d) « Que diable ils présentent leurs candidatures ou attendent que le complexe d’infériorité soit liquidé ». – Les candidatures supposent un sens démocratique, ou alors il faut ignorer ce que ce prétexte peut laisser entendre de tendance au buhake que les gens ont abandonné (sans pour cela abandonner le respect de l’autorité).
A ce sujet, il faudrait rappeler la réflexion d’un hamite notable : «Il ne faudrait pas que les Bahutu soient élevés par les soins du blanc, mais par la méthode traditionnelle du Mututsi » Nous ne pensons pas que l’ancien ennoblissement soit une pratique à ressusciter dans la rencontre Europe-Afrique.
e) « Et les foules suivront. » - L’interaction élite-masse est indéniable, mais il conditionne que l’élite soit de la masse. Au fond du problème il s’agit d’un colonialisme à deux étages : le Muhutu devant supporter le hamite et sa domination et l’Européen et ses lois passant systématiquement par le canal mututsi (leta mbirigi et leta ntutsi) ! La méthode de la remorque « blanc-hamite-muhutu » est à exclure. Des exemples ont pu montrer que « les foules » ne suivent pas automatiquement toujours.
f) « L’union, condition de front commun et unique pour l’indépendance du pays, doit faire taire toutes les revendications bahutu.» - il est fort douteux que l’union de cette manière, le parti unique, soit vraiment nécessaire si en fait l’émancipation est fruit mûri – Ajoutons que la section de la population que le départ de l’européen pourrait réduire dans une servitude pire que la première aurait tout au moins le droit de s’abstenir de coopérer à l’indépendance autrement que par des efforts de travail acharné et de manifestations des différences qu'il lui semble nécessaire de soigner d’abord.

II. En quoi consiste le problème racial indigène ?

D’aucuns se sont demandés s’il s’agit là d’un conflit social ou d’un conflit racial. Nous pensons que c’est de la littérature. Dans la réalité des choses et dans les réflexions des gens, il est l’un et l’autre. On pourrait cependant le préciser : le problème est avant tout un problème de monopole politique dont dispose une race, le mututsi ; monopole politique qui, étant donné l’ensemble des structures actuelles, devient un monopole économique et social ; monopole politique, économique et social qui, vu les sélections de facto dans l’enseignement, parvient à être un monopole culturel, au grand désespoir des Bahutu qui se voient condamner à rester d’éternels manœuvres subalternes, et pis encore, après une indépendance éventuelle qu’ils auront aidé à conquérir sans savoir ce qu’ils font. Le buhake est sans doute supprimé, mais il est mieux remplacé par ce monopole total qui , en grande partie, occasionne les abus dont la population se plaint.

-Monopole politique. –Les prétendus anciens chefs bahutu ne furent que des exceptions, pour confirmer la règle ! Et les occasions qui permettaient même ces exceptions n’existent plus : il ne s’agit évidemment pas de rétablir la vieille coutume de l’ennoblissement des Bahutu. Quant aux fameux métissages ou « mutations » de bahutu en hamites, la statistique, une généalogie bien établie et peut-être aussi les médecins, peuvent seuls donner des précisions objectives et assez solides pour réfuter le sens commun auquel on se réfère pourtant pour bien d’autres choses.

Monopole économique et social. – Les privilèges de son frère qui commande la colline ont toujours concouru à rehausser le mututsi privé. Certaines fonctions sociales furent même « réservées » à la noblesse et la civilisation actuelle, par l’administration indirecte, n’a fait que renforcer et quasi généraliser cette réserve. Le récent partage des vaches a bien montré la faiblesse de la propriété en fait de bétail au moins. La terre elle-même dans plus de la moitié du Rwanda – les régions les plus hamitisées – est à peine une vraie propriété pour l’occupant. Cette occupation en fait précaire n’encourage guère le travail et en conséquence les gens qui n’ont que leurs bras pour s’enrichir en sont désavantagés. Nous laissons sous silence le système de tout genre de corvés ? Seul monopole du Muhutu, le Mututsi ayant ainsi toutes les avances pour promouvoir les finances à la maison.

Monopole culturel. – Encore une fois on pourrait contester la qualité des vrais hamites à quelques numéros ; mais la sélection de fait (opérée par le hasard ?) que présentent actuellement les établissements secondaires, crève les yeux. Des arguments ne manquent pas alors pour démontrer que le Muhutu est inapte, qu’il est pauvre, qu’il ne sait pas se présenter. L’inaptitude est à prouver ; la pauvreté et son lot dans le système social actuel ; quant aux manières, une plus grande largeur d’esprit serait à souhaiter. Demain on réclamera les diplômes et ce sera juste, et les diplômes ne seront en général que d’un côté, le Muhutu ne saura même pas le sens de ce mot. Et si par hasard (la Providence nous en garde) une autre force intervenait qui sache opposer le nombre, l’aigreur et le désespoir aux diplômes ! L’élément racial compliquerait tout et il n’aura plus besoin de se poser le problème : conflit racial ou conflit social.
Nous croyons que ce monopole total est à la base des abus de tous genres dont les populations se plaignent.

Quelques faits et courants actuels peuvent faire entrevoir l’état réel d’aujourd’hui :

1) La jeunesse muhutu (quelques éléments batutsi complètement déchus ont aussi le même sort) qui a pour devise « In itineribus semper » à l’intérieur du pays ou à l’extérieur, fuyant le travail-corvée, non plus adapté à l’état et à la psychologie d’aujourd’hui, n’accepte plus ou à peine la discipline de la contrainte qui donne d’ailleurs occasion aux abus que les autorités semblent ignorer.

2) Des pères de familles qui nourrissent leurs familles à peine ; en politique une sorte de propagande, peut-être inconsciente, les pousse à l’antipathie à l’égard de l’Européen ;bon nombre ne sont pas sas penser que le Gouvernement Belge est lié à la noblesse pour leur complète exploitation.

3) D’autre part cependant, la réflexion comme celle-ci est encore courante : « Sans l’Européen nous serions voués à une exploitation plus inhumaine qu’autrefois, à la destruction totale. C’est même malheureux que ce ne soit pas l’Européen qui devienne chef, sous-chef ou juge. « Non pas qu’ils croient l’Européen parfait, mais parce que des deux maux il faut choisir le moindre. La résistance passive à plusieurs des ordres des sous-chefs n’est que la conséquence de ce déséquilibre et de ce malaise.

4) Le regret des Bahutu de voir comment les leurs sont refoulés quasi systématiquement à des places subalternes. Toute politique employée à ce refoulement n’échappe plus qu’à quelques-uns. De tout cela, à la guerre civile « froide » et à la xénophobie il n’y a qu’un pas. De là à la popularité des idées communisantes, il n’y a qu’un pas.

III. Proposition de solutions immédiates

Quelques solutions peuvent être présentées et dont l’efficacité n’est possible que si le système politique et social du pays change profondément et assez rapidement.

1) La première solution est un « esprit ». Qu’on abandonne la pensée que les élites rwandaises ne se trouvent que dans les rangs hamites (méthode chérie en fait par l’Administration dans nos pays et qu’on appelle par abus de terme « Umuco w’Igihugu », le respect de la culture et de la coutume du pays »).

2) Aux points de vue économique et social. Nous voulons que des institutions soient créées pour aider les efforts de la population muhutu handicapés par, une administration indigène, qui semble vouloir voir le Muhutu rester dans l'indigence et donc dans l'impossibilité de réclamer l’exercice effectif de ses droits dans son pays. Nous proposons :

1° La suppression des corvées. – Les forçats seraient remplacés par un service de Travaux publics (public ou parastatal) engageant les ouvriers vraiment volontaires, qui seraient défendus par la législation sociale, dont le progrès actuel est considérable. Ce service pourrait se concevoir et se concrétiser comme la Regideso, pour autant que nous la connaissions. La suppression des corvées donnerait aux populations un minimum de liberté pour entreprendre des initiatives utiles. Des paresseux – il en est même dans les castes d’élites – seraient surveillés par un système plus humain.

2° La reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle dans le sens occidental du mot, chacun ayant une superficie suffisante pour culture et élevage, et les bikingi (pâturages) de la bourgeoisie seraient supprimés du moins dans le sens ou la coutume les entend et les protège. Pour cette législation il faudrait qu’un service compétent détermine quelle superficie peut suffire à une famille de 6 à 8 enfants étant données les possibilités productives du sol du Rwanda-Urundi. Tous ceux qui disposeraient effectivement de cette superficie à l’heure actuelle seraient enregistrés par la sous-chefferie comme vrais propriétaires dans le sens occidental ; et le reste se fera peu à peu, aidé par le mouvement de déplacement qui s’amorce dans certaines régions du pays.

Au sujet de la propriété foncière, il ne faudra pas que les mesures soient prises trop rapidement, même sur proposition du Conseil du Pays, dont bon nombre des membres seraient tentés de voir le problème d’une façon unilatérale ou sans tenir compte des difficultés ou des aspirations concrètes des roturiers de métier.

3° Un Fonds de crédit rural. Il aurait pour but de promouvoir les initiatives rurales: agriculture rationnelle et métiers divers. Ce fonds prêterait au manant qui veut s'établir comme agriculteur ou comme artisan. Les conditions d'accession à ce fonds devraient cependant être telles qu'il soit abordable au Muhutu ordinaire.

4° L’union économique de l’Afrique belge et de la métropole. – cette union devrait se faire selon des normes à préciser et à proposer d’abord au public et aux responsables avant qu’elle ne soit sanctionnée.

5° La liberté d’expression. – L’on a parlé des effets dissolvants d’une certaine Presse locale, indigène ou européenne ou même métropolitaine, tendant à diviser les races. Nous pensons quant à nous que certaines exagérations ont pu avoir lieu comme dans tout journalisme, surtout à l’âge où en sont les pays considérés. Nous croyons aussi que certaines expressions ont pu blesser certains gens non habitués à être contrariés pour faire à l’ombre tout ce qu’il leur plaît avec les petits et les faibles. Cela a pu heurter un système à peine sortant de la féodalité. Nous croyons également que devant la liberté d’expression en Afrique belge et sur les problèmes concrets concernant les populations, ne datant pas sérieusement de plus de trois ans, certaines autorités non habituées à la démocratie et qui, peut-être, ne la souhaitaient guère, se soient émotionnées. Mais nous pensons aussi qu’il ne faut pas, sous prétexte de ne pas « diviser », taire les situations qui existent ou qui tendent à exister au préjudice d’un grand nombre et pour le monopole abusif en fait d’une minorité. Nous sommes convaincus que ce n’est pas la justice belge ni le Gouvernement belge qui accepteraient une union réalisée sur des cadavres d’une population qui veut disposer de l’atmosphère et des conditions nécessaires pour mieux travailler et se développer. Avant de demander la perfection à la presse, ne faudrait-il pas l’exiger des tribunaux indigènes, de l’administration qui sont de loin plus importants et qui ne donnent que trop d’occasions aux critiques de la presse ? La liberté bien entendue d’expression n’est-elle pas l’une des bases d’une vraie démocratisation ?

3) Au point de vue politique. Si nous sommes d’accord que l’administration mututsi actuelle participe de plus en plus au gouvernement du pays, nous pensons pourtant mettre en garde contre une méthode qui tout en tendant à la suppression du colonialisme blanc-noir, laisserait un colonialisme pire du hamite sur le Muhutu. Il faut à la base aplanir les difficultés qui pourraient provenir du monopole hamite sur les autres races habitant, plus nombreuses et plus anciennement, dans le pays. Nous désirons à cet effet :

1° Que lois et coutumes soient codifiées. Il est certain qu’il y a certaines coutumes qu’on ne peut pas supprimer d’un trait de plume, mais nous croyons qu’un respect presque superstitieux du fétiche « coutume » handicape le progrès intégral et solide des populations. Aussi, pour plus de clarté, d’égalité devant la loi, pour moins de confusion et d’abus, nous demandons que les lois portées par l’Autorité belge et les coutumes ayant encore vigueur utile, raisonnables et non imperméables à la démocratisation du pays soient recensées en un Code qui pourrait être régulièrement révisé et modifié suivant le degré d’évolution. Les travaux déjà réalisés par les savants et les législateurs dans l’une ou l’autre matière, facilitent la rapidité d’un travail si urgent. Les tribunaux et l’administration indigènes et européens, l’essor de l’initiative privée en tout domaine ont besoin d’un tel guide. Le brandissement du glaive de la coutume du pays (umuco w’igihugu) par les intérêts monopolistes, n’est pas de nature à favoriser la confiance nécessaire, ni établir la justice et la paix en face des aspirations actuelles de la population. Il faut recenser et codifier pour se rendre compte des déficiences réelles et les corriger pour favoriser d’avantage l’initiative privée qui se bute souvent aux absolutismes et aux interprétations locales dépourvues du sens social.
2° Que soit réalisé effectivement la promotion des Bahutu aux fonctions publiques (chefferies, sous-chefferies, juges). Et concrètement nous pensons qu’il est temps que les conseils respectifs ou les contribuables élisent désormais leurs sous-chefs, leurs chefs, leurs juges. Dans certaines localités jugées encore trop arriérées, le pouvoir pourrait proposer aux électeurs deux ou trois candidats parmi lesquels ils choisiraient leur guide.
3° Que les fonctions publiques indigènes puissent avoir une période, passée laquelle, les gens pourraient élire un autre ou réélire le sortant s’il a donné satisfaction. Un tel système, sans être raciste, donnerait plus de chances au Muhutu et ferait leçon aux abus d’un monopole à vie.
4° Le retrait des chefs de province des conseils de chefferie.
5° La composition du Conseil du pays par les députations de chefferie : chaque chefferie déléguant un nombre proportionnel à celui de ses contribuables, sans exclure les Européens qui auraient fixé définitivement leur demeure dans la chefferie. Nous ne croyons pas simpliste d’accepter les Européens, fixés définitivement dans la circonscription ; c’est, qu’établis de cette manière, ils ont des intérêts définitifs à défendre ; c’est que la législation doit devenir de plus en plus élargie et moins discriminatoire, et que les Européens sont tout au moins aussi utiles qu’un Mututsi établi dans la région.

Des mesures comme celles que nous proposons nous semblent essentielles si le Gouvernement veut baser une œuvre à venir et sans favoritisme. Nous pouvons comprendre que l’on parle de prudence mais nous croyons que l’expérience des fameux neuf cent ans de la domination tutsi et 56 années de tutelle européenne suffit largement et qu’attendre risque de compromettre ce que l’on édifie sans ces bases.

4)Au point de vue instruction. – Demain on réclamera les diplômes et ce sera de juste. Or jusqu’ici la sélection de fait au stade secondaire et supérieur crève les yeux. Les prétextes ne manquent pas bien entendu, et certains ne sont pas dépourvus de tout fondement: ils profitent d'un système favorisant systématiquement l’avancement politique et économique du hamite.

1°Nous voulons que l’enseignement soit particulièrement surveillé. Que l’on soit plus réaliste et plus moderne en abandonnant la sélection dont on peut constater les résultats dans le secondaire. Que ce souci soit dès les premières années, de façon que l’on ait pas à choisir parmi presque les seuls Batutsi en cinquième année. Il n’y a peut-être pas de volonté positive de sélection, mais le fait est plus important et souvent il est provoqué par l’ensemble de ce système de remorquage dont nous parlions plus haut. Il faudra que pour éviter la sélection de fait, caeteris aequalibus, s’il n’y a pas de places suffisantes, l’on se rapporte aux mentions de livrets d’identité pour respecter les proportions. Non pas qu’il faille tomber dans le défaut contraire en bantouisant là où l’on a hamitisé. Que les positions sociales actuelles n’influencent en rien l’admission aux écoles.
2° Que l’octroi des bourses d’études (dont une bonne partie est de provenance des impôts de la population en grande partie muhutu) soit surveillé par le Gouvernement tutélaire, de façon que là non plus les Bahutu ne soient pas le tremplin d’un monopole qui les tienne éternellement dans une infériorité sociale et politique insupportable.
3° Quant à l’enseignement supérieur, nous pensons que les Etablissements se trouvant dans l’Afrique belge suffisent, mais qu’il faut y faire admettre le plus grand nombre possible, sans s’opposer toutefois à ce qu’il y ait des éléments – très capables qui suivent des spécialités – dans les universités métropolitaines.
Quant à l’université au Rwanda, il faudrait ne pas dilapider un budget que l’on dit déficitaire et monter d’abord l’enseignement professionnel et technique dont le Pays n’a pratiquement rien, alors que cet enseignement est à la base de l’émancipation économique. Il ne faut pas seulement obstruer systématiquement l'entrée dans les universités d'Europe à des candidats triés sur le volet et envisageant des spécialités immédiatement utiles au pays.
4° Que l’enseignement artisanal, professionnel et technique sur place soit, pour la période qui s’annonce, le premier souci du budget. Que cet enseignement soit le plus vite possible généralisé. Cet enseignement doit cependant être autant que possible à peu de frais pour permettre aux fils du peuple d’y accéder. Nous remarquons en effet que les quelques essais d’installations artisanales semblent destinés à recevoir le trop-plein de la jeunesse mututsi qui n'a pas de places ou capacités pour entrer dans le secondaire.
Nous souhaitons qu’incessamment et tant qu’on se prépare à la mise en marche de l’appareil professionnel et technique, chaque chefferie soit munie d’un centre élémentaire de formation rurale d’au moins deux ans où l’on prolonge l’enseignement primaire (appliqué à la vie) et surtout où l’on exerce à un métier manuel les enfants n’accédant pas au stade secondaire. C’est pour nous, au point de vue enseignement, l’objectif principal que nous assignerions aux C.A.C. qui sont, somme toute, alimentées par les impôts en grande provenance muhutu. Les crédits aux Biru (tambourineurs des Cours) et aux danses qui recruteront normalement parmi la Noblesse, n’ont pas l’air de prouver que « c’est l’argent qui manque ».
5° Que les foyers sociaux populaires soient instaurés et multipliés à l’adresse des jeunes femmes et jeunes filles du milieu rural qui, vu les finances réduites, ne peuvent accéder aux aristocratiques écoles ménagères ou de monitrices. L’équilibre de l’évolution familiale du pays exige la généralisation de cette éducation de base.

En résumé, nous voulons la promotion intégrale et collective du Muhutu ; les intéressés y travaillent déjà, dans les délais qui peuvent leur laisser les corvées diverses. Mais nous réclamons aussi une action d’en haut positive et plus décidée. La Belgique a fait beaucoup plus dans ce sens, il faut le reconnaître, mais il ne faut pas que son humanité s’arrête sur la route. Ce n’est pas que nous veillions un piétinement sur place : nous sommes d’accord que le Conseil Supérieur Tutsi puisse participer progressivement et plus effectivement aux affaires du pays ; mais plus fortement encore, nous réclamons du Gouvernement tutélaire et de l’Administration tutsi qu’une action plus positive et sans tergiversations soit menée pour l’émancipation économique et politique du Muhutu de la remorque hamite traditionnelle.

Dans l’ensemble, nous demandons à la Belgique de renoncer à obliger en fait le Muhutu à devoir se mettre toujours à la remorque du Mututsi. Que par exemple dans les relations sociales, on abandonne d’exiger (tacitement : bien entendu) du Muhutu pour être « acceptable »de se régler sur le comportent mututsi. Puisqu’on dit respecter les cultures, il faudrait tenir compte aussi des différenciations de la culture rwandaise. Le hamite peut en avoir une pratique qui plaise bien à l’un ou à l’autre égard, mais nous n’avons pas encore entendu que tous les autres noirs doivent d’abord passer par une hamitisation pour pouvoir tirer de l’occidental de quoi accéder à la civilisation. Il est difficile de démontrer la nécessité de remorquer perpétuellement le muhutu au hamite, la nécessité de la médiation perpétuelle de cette remorque politique, sociale, économique, culturelle.

Les gens ne sont d’ailleurs pas sans s’être rendu compte de l’appui de l’administration indirecte au monopole tutsi. Aussi pour mieux surveiller ce monopole de race, nous nous opposons énergiquement, du moins pour le moment, à la suppression dans les pièces d’identité officielles ou privées des mentions « muhutu », « mututsi ». Leur suppression risque encore davantage la sélection en le voilant et en empêchant la loi statistique de pouvoir établir la vérité des faits. Personne n’a dit d’ailleurs que c’est le nom qui ennuie le Muhutu : ce sont les privilèges d’un monopole favorisé, lequel risque de réduire la majorité de la population dans une infériorité systématique et une sous-existence immédiate.

C’est une volonté constructive et un sain désir de collaboration qui nous a poussés à projeter une lumière de plus sur un problème si grave devant les yeux de qui aime authentiquement ce pays ; problème dans lequel les responsabilités de la tutrice Belgique ne sont que trop engagées. Ce n’est pas du tout en révolutionnaires (dans le mauvais sens du mot) mais en collaborateurs conscients de notre devoir social que nous avons tenu à mettre en garde les autorités contre les dangers que présentera sûrement tôt ou tard le maintien en fait – même simplement d’une façon négative – d’un monopole raciste sur le Rwanda. Quelques voix du peuple ont déjà signalé cette anomalie ; la résistance passive, encore dans l’attente de l’intervention du Blanc tuteur, risque de s’approfondir devant les abus d’un monopole qui n’est plus accepté ; qu’elle serve d’ores et déjà d’un signe.

Les autorités voudront donc voir dans cette brève note, en quelques sortes systématisés, les contrats d’idées et les désirs concrets d’un peuple auquel nous appartenons, avec lequel nous partageons la vie et les refoulements opérés par une atmosphère rendant à obstruer la voie à une véritable démocratisation du pays ; celle-ci, envisagée par la généreuse Belgique est vivement souhaitée par la population avide d’une atmosphère politico-sociale viable et favorable à l’initiative et au travail pour un mieux-être et pour la promotion intégrale et collective du peuple.


Maximilien NIYONZIMA Godefroid SENTAMA
Grégoire KAYIBANDA Silvestre MUNYAMBONERA
Claver NDAHAYO Joseph SIBOMANA
Isidore NZEYIMANA Joseph HABYARIMANA
Calliopé MULINDAHABI


Tiré de :
Assemblée Nationale Française, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), T. 2
source : OVERDULVE C. M., RWANDA, Un peuple avec une histoire, Paris, L’Harmattan, 1997)

Tuesday, April 25, 2006

Genocide du Rwanda - Mise au point de Deogratias Mushayidi: Pourquoi j'ai commémoré le 6 avril


Pour quoi j’ai commémoré le 06 avril ?

Parce que je considère que le 06/04/1994 restera à jamais tristement mémorable dans les annales de l’histoire politique du Rwanda ;

Parce que je suis intimement convaincu que l’attentat du 06/04/1994, en emportant les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et son homologue Cyprien Ntaryamira du Burundi sans épargner tout l’équipage de l’avion qui les transportait, aura déclenché des événements qui ont tout chamboulé dans ma propre vie et dans celles des millions d’autres tant au Rwanda que dans la région voire dans le monde entier.

Bien que je refuse obstinément toute démarche qui tenterait de justifier ou d’atténuer, par quelque procédé que ce soit, l’extermination des Tutsi du Rwanda, une « solution » annoncée, relayée par les médias et fièrement revendiquée par des autorités de l’Etat rwandais qui sont allés jusqu’à l’assimiler à une œuvre patriotique ;

J’estime cependant, en mon âme et conscience, qu’il serait malhonnête et injuste d’ignorer ou de minimiser, pour quelque motif que ce soit, les victimes Hutu massacrées par les mêmes hordes d’assassins que celles dont la besogne essentielle était de purifier le Rwanda des ennemis et leurs complices tels qu’on désignait les Tutsi en général et des Hutu opposants réels ou supposés au régime d’alors.

Je me suis rendu le soir du 07 avril 2006 au Palais de justice où se déroulait la cérémonie de commémoration du génocide des Tutsi organisée par l’Association Ibuka. Je n’y ai pourtant passé qu’une petite demi-heure, le temps d’écouter deux allocutions prononcées avec une émotion palpable face aux centaines de bougies allumées par les rescapés venus nombreux pour l’occasion comme chaque année à la même date et au même lieu. Une toute petite demi-heure, le temps de me faire agresser verbalement par un employé de l’ambassade du Rwanda mon pays, visiblement choqué par ma présence, la veille, au Mémorial du génocide rwandais érigé dans la Commune de Woluwé saint Pierre, où étaient venus se recueillir, dans le calme et la discipline, 150 compatriotes presque tous Hutu, à l’initiative des associations rwandaises COSAR et CLIR.

« Comment peux-tu oser venir ici commémorer le génocide des Tutsi alors que tu étais hier à Woluwé Saint Pierre aux côtés des Bahutu? » me dit mon « agresseur » du jour non sans un brin d’énervement. Et un vieil ami journaliste de s’interposer aussitôt, histoire de calmer les esprits. Mais j’avais eu le temps de répliquer faisant remarquer à mon interlocuteur qu’à Kigali, les choses se passaient sans heurts. « Allez-vous protester contre le fait qu’après avoir joyeusement partagé un plat de maïs, Kagame, Rucagu, Bazivamo, Mukezamfura, Gatsinzi(j’aurais pu en citer davantage), soient assis côte à côte pour commémorer le génocide de 1994 ?». Je n’ai pas eu de réponse à ma question. Nous nous sommes donc séparés sur un score nul !

De quel crédit pourrait-on jouir quand, concomitamment, on prétend sceller la « réconciliation » à Kigali tout en semant la zizanie et la discorde dans les rangs de la diaspora rwandaise disséminée en Afrique, en Europe et en Amérique ?

Par quelle magie le Gouvernement FPR se consacrerait-il à l’unité tout en poussant ses ambassadeurs à entretenir ou à alimenter la division ? Serait-ce la fameuse vieille devise du « diviser pour régner » ? La diaspora rwandaise devrait pouvoir compter, dans pareilles circonstances, sur ses propres unificateurs.

Allons-nous ériger au Rwanda un Hutuland et un Tutsiland et dresser un mur de fer entre les deux composantes d’une même Nation fondée sur le même patrimoine linguistique et culturel ? Comment arriver à distinguer ces « homelands » respectifs quand ils n’existent que dans l’imagination florissante et débordante de certains esprits diversement qualifiables?

Quand nous n’agissons pas en Caen, nous imitons Ponce Pilate !

Face au drame national, les Rwandais savent se défiler. Avec une facilité désarmante, nous nous prêtons trop souvent au jeu de la malice qui frise légèreté et irresponsabilité.

Le régime de Juvénal Habyarimana ayant été dominé par une clique originaire du Nord, les Bakiga seraient donc responsables de toute la tragédie et devraient, seuls, et en tant que tels, en supporter toutes les conséquences ! C’est ce que tente d’accréditer dans l’opinion certains compatriotes selon lesquels, les autres Hutu n’auraient rien à se reprocher.

Les rebelles Tutsi du FPR ayant attaqué le pays en octobre 1990 et très probablement exécuté l’attentat du 06/04/1994, ils doivent assumer tout ce qui a suivi, estiment les autres, dans une ultime tentative de disculper les Gouvernements Hutu de leurs écrasantes responsabilités.

Le Rwanda ayant été colonisé par la Belgique dont l’influence se fera, peu à peu, supplanter par celle de la France, les Rwandais n’y seraient pour rien, ce sont les blancs qui ont tout fomenté ! N’oublions pas ceux qui réduisent ce drame à un coup monté par la domination anglo-saxonne.

Dans une telle perspective, tous seraient « innocents » et personne ne serait finalement « coupable ».

« Innocentes » ces autorités nationales, préfectorales, communales et autres hommes et femmes des médias qui, dans le but d’optimaliser le « travail », auront massivement mobilisé la population en l’incitant à commettre des crimes.

« Inoffensifs » ces militaires et ces gendarmes qui, au lieu de repousser l’armée d’en face, préférèrent participer à la « solution finale » quand ils n’y furent pas plus ou moins contraints.

« Enfants de chœur » ces rebelles du FPR qui, pour accélérer leur marche vers la victoire, et, dans une volonté freinée de domination, n’hésitèrent pas à mitrailler et à bombarder des camps où se concentraient des milliers de civils sans armes.

Seule serait finalement responsable cette Communauté internationale dont, jusqu’au bout, les deux belligérants se disputeront les faveurs. En tête de peloton et particulièrement coupable, cette « méchante » France qui, en pleine guerre et alors que le génocide est presque consommé, conçut et monta une mission militaro humanitaire, la fameuse opération « Turquoise » qui aurait pu empêcher et qui, en tout cas, gêna ou retarda la victoire des ex-rebelles !

C’est pourquoi face à tant de victimes, il y a en définitive, ce qui est paradoxal, si peu de regrets. Kofi Annan pour l’ONU, Madeleine Albright et Bill Clinton pour les Etats-Unis, Louis Michel et Guy Verhofstadt pour la Belgique… Reste cette France si « fière » à laquelle Kagame reprocha vivement sa véhémence.

Pour le reste et c’est pour moi l’essentiel, on attend toujours le repentir des deux principaux belligérants. Coté des « vaincus », l’ex-Premier Ministre Jean Kambanda, jugé et condamné par le TPIR, aurait exprimé ses regrets avant de se raviser, arguant que ceux-ci lui auraient été extorqués dans des conditions « illégales » et par des méthodes contestables. Côté des « vainqueurs » par contre, aucun repentir de la part du FPR et de son Chef qui se posent plutôt en victimes et revendiquent avec arrogance d’avoir arrêté le génocide. Ce qui, au regard de la réalité, semble absolument surréaliste.

Ca doit se savoir !

J’ai remarqué tant à Woluwé Saint Pierre qu’au Palais de justice, des enfants de 12 ans ou parfois moins. Des jeunes de 15 à 25 ans ou plus, visages perplexes reflétant une incompréhension au bord de la révolte. Je les ai observés et cela m’a donné à réfléchir.

Quel héritage politique, dans les conditions actuelles, entendrions-nous léguer à ces jeunes générations et à celles de demain ? Comment peut-on persévérer dans ces politiques irresponsables et criminelles qui figent ou poussent des personnes voire des pans entiers de la société dans des positions dangereuses ? De manière diverse, bien que parfois maladroitement, les Rwandais, toutes catégories confondues, réclament de plus en plus un espace de dialogue. C’est qu’ils se sentent à l’étroit dans ces catégories imposées et convenues sans que personne n’ait cru nécessaire de recueillir leur avis. Ils étouffent sous cette chape de plomb sous laquelle ploie un peuple privé de parole et de liberté. Ils aspirent à la discussion et au débat. Ils veulent savoir et comprendre ce qui leur est arrivé.

Puis-je réitérer une seule proposition au Président de la République ? Je pense qu’il est temps d’ouvrir les yeux et les oreilles afin d’entendre la clameur du peuple. Ce peuple tant manipulé, brisé et meurtri et sur lequel une classe politique irresponsable tente aujourd’hui de se décharger notamment à travers les « gacaca », cet instrument au service de l’Etat FPR par lequel il croit, impunément, imposer une justice à sens unique. Ce peuple veut désormais vivre et vivre libre.

Je suggère au Président qui, le temps d’une campagne électorale, assimila le Rwanda à sa propre maison, d’en concéder à son peuple au moins un compartiment dans lequel celui-ci pourrait se retrouver et se réconcilier avec lui-même et avec sa tragique histoire.

Avec mes amis du Partenariat-Intwari, j’ai constamment plaidé pour des solutions pacifiques au conflit intra rwandais dont les répercussions régionales ont déjà coûté plusieurs millions de vies humaines tant au Rwanda qu’en République démocratique du Congo. Tout en restant attaché au règlement pacifique des conflits, je tiens aujourd’hui à dire à Paul Kagame que s’il devrait persister dans son attitude méprisante et autiste par rapport aux doléances de son peuple, celui-ci n’aurait alors d’autre choix que d’investir toute la maison au lieu de se contenter d’un simple compartiment.

Car en toute honnêteté,

Si exiger que la lumière soit faite sur l’attentat du 06/04/1994 ;
Si s’interroger à haute voix sur les auteurs de cet attentat en leur déniant toute prétention de réconcilier le peuple rwandais ;
Si se remémorer cet attentat comme l’événement qui fit basculer le Rwanda et la région des Grands Lacs dans une tragédie indicible ;
Si penser que la mémoire des victimes Tutsi du génocide ne peut exclure celle de leurs compatriotes Hutu broyés par la même machine à tuer ainsi que les milliers de Hutu innocents victimes des massacres encore non qualifiés de l’ex-rébellion du FPR ;
Si revenir sur les massacres perpétrés contre les réfugiés rwandais dont des femmes et des enfants en ex-Zaïre, Hutu dans leur majorité, et exiger que justice soit rendue ;
Si estimer que dans la tragédie rwandaise et régionale les responsabilités sont largement partagées ;
Si refuser de céder au simplisme criminel qui tente cyniquement d’enfermer le peuple rwandais en deux camps absolument inconciliables à savoir celui des méchants(Hutu) et celui des bons(Tutsi) ;
Si rejeter fermement ce schéma grotesque qui voudrait que seuls les Hutu qui acceptent de faire allégeance au FPR obtiennent la grâce d’être blanchis quand ceux qui rompent avec lui ou qui refusent d’y adhérer sont automatiquement assimilés aux « interahamwe » et aux « génocidaires » ;
Si considérer que le Général Major Paul Kagame est un autocrate dangereux et soupçonné de pires crimes de guerre ;
Si contester un ordre établi car injuste et inique ;
Si sans distinction, tous ceux et celles qui osent bousculer ces schémas convenus doivent être inculpés de négationnisme ou de révisionnisme du génocide de 1994, alors je devrais l’être et j’assumerai.

J’assume totalement mon geste que je dédie à la mémoire de tous les innocents, de quelque bord qu’ils soient qui, sans haine ni rancune, ont péri injustement de la folie meurtrière de leurs semblables. Une folie encouragée et encadrée par un Etat indigne de ce nom, et par des belligérants qui tous, dans leurs choix politiques, tactiques et stratégiques, auront dramatiquement dépassé les bornes. Une folie face à laquelle, lâche et démissionnaire, cette même Communauté internationale semble aujourd’hui chercher à imposer aux Rwandais la dictature des vainqueurs, feignant d’ignorer qu’aucun armistice crédible ne fut signé dans la guerre du Rwanda.

Je dédie ce geste à tous ceux et celles qui, parmi nos concitoyens ou parmi les amis sincères du Rwanda, se battent pour l’émergence dans ce pays dévasté, d’une fraternité nouvelle, une société plus juste et plus tolérante. Je pense particulièrement ici au Col Luc Marchal dont la présence à la cérémonie du 06/04 aura suscité tant de réactions de condamnation dans les médias. Cet homme est l’une des personnalités victimes de leur obstination à exiger l’éclatement de toute la vérité au sujet du génocide de 1994. Plaise au ciel que le débat belgo belge sur ce génocide ne compromette définitivement l’avènement de la vérité!

Ce geste, je le dédie à ces millions de rwandaises et de rwandais qui, nés de mariages entre Hutu et Tutsi, ne savent plus à quels saints se vouer dans cette histoire de fous dont nous semblons tous des otages.

Je le dédie à nos compatriotes Batwa, eux aussi frappés de plein fouet par la tragédie nationale mais dont la faiblesse numérique et peu d’ambitions politiques consacrent l’isolement voire l’exclusion de la société.

J’en appelle enfin à la conscience de tous pour qu’on se garde de politiser les souffrances indescriptibles subies ou infligées par nos concitoyens. Malgré la guerre, le génocide et tous les autres crimes abominables qui l’ont accompagné, les Rwandais sont condamnés à vivre ensemble, pour le meilleur et pour le pire. N’en déplaise à ceux qui, sans doute dans une tentative d’échapper à ce dilemme insoutenable consécutif à l’innommable, prétendent se débarrasser de leur terre natale par des procédés les uns plus ridicules que les autres.

Entre temps, sur les collines du Rwanda, les humbles paysans de notre pays nous donnent une cinglante leçon de vie, marquée de courage, de patience et de patriotisme. Ces veuves et ces orphelins qui, démunis, trouvent encore des ressources de discuter de l’organisation de leur vie au village et de l’avenir de leurs enfants. Ces jeunes, désoeuvrés et sans la moindre certitude pour leur avenir qui, envers et contre tout, persévèrent en espérant des lendemains qui chantent. Ces vieilles personnes complètement abandonnées qui, dans un élan de sagesse, s’efforcent de laisser aux jeunes générations une image moins pessimiste de la vie.

Mais que se passe-t-il donc dans la classe politique rwandaise et chez nos chères élites? Que concocte-t-on au sein de la société civile rwandaise? Devrait-on se réjouir de ce que le corps militaire, l’administration politique et le monde universitaire soient ni plus ni moins que des foules organisées ? Peut-on s’accommoder de partis politiques irresponsables qui ne feraient que rivaliser de zèle clientéliste auprès du parti Etat ? Que faire en face d’une certaine opposition qui, sans préciser ses objectifs et sans présenter la moindre alternative au régime en place, s’accroche au futile exercice de la dénonciation, allant jusqu’à user de l’injure et de l’invective moins à l’endroit de ses adversaires naturels que contre d’autres opposants traités de « traîtres » ?

Je m’incline respectueusement, encore une fois, en mémoire de toutes les victimes innocentes de la tragédie rwandaise et régionale. Et j’invite tous mes compatriotes à prendre garde de ne pas succomber à la dangereuse tentation du repli communautariste voire nationaliste afin qu’ensemble, nous reconstruisions une Nation pacifique et prospère, et qu’au-delà, nous puissions contribuer, de façon déterminante, au redressement de l’Afrique.

Puissions-nous, dans les jours, les mois et les années qui viennent, nous unir davantage pour un Hommage authentiquement national qui soit à la hauteur de l'honneur, de la dignité et de la reconnaissance que nous devons à toutes les victimes innocentes.

Déo Mushayidi
08/04/2006

posted by Rwandanet

Sunday, April 23, 2006

Rwanda 1964: Message du President Gregoire Kayibanda aux réfugiés rwandais - mars 1964

Tel que publié dans : RWANDA CARREFOUR D’AFRIQUE N° 31, MARS 1964


Mes chers Rwandais et Rwandaises réfugiés,

Au-dessus des soucis que la folie de certains d’entre vous me cause, quand, par des menées terroristes organisées de l’étranger, ils troublent leurs frères qui vivent en paix dans notre Rwanda démocratique et indépendant ;

Au-dessus de l’affliction que la malhonnêteté de certains d’entre vous Nous a causée en Nous traitant de génocide ;

Au-dessus de la peine que nous avons éprouvée lorsque des gens peut-être bien intentionnés ont mis à la disposition de vos manœuvres calomniatrices les instruments les plus modernes d’information ;

En dépit de tout cela nous avons estimé utile de vous adresser un salut fraternel, avec, avec l’espoir que beaucoup d’entre vous l’entendront.

Comment du Rwanda voyons-nous votre attitude dans son ensemble ? Comment le Rwanda juge-t-il vos comportements ? Quelle est surtout notre attitude à votre égard : trois questions au sujet desquelles je vais vous donner le point de vue de la République.

1. Certains d’entre vous en grand nombre ne demandent que la tranquillité pour se faire à leur état nouveau à l’étranger, s’installer et chercher des moyens pour faire vivre honorablement leur famille. Ils sont raisonnables et ce sont ceux-là que nous n’avons cessé d’inviter à rentrer au pays s’ils le veulent.

Certains d’entre vous ne se font pas à la vie à l’étranger et désireraient rentrer si l’atmosphère où ils vivent s’y prêtait. Nous sommes à leur disposition pour leur faciliter le retour pour autant que leurs démarches ne soient intégrées dans les menées subversives et terroristes comme celles de décembre dernier.

Nous savons que la plupart des membres de ces deux groupes sont partis en panique, d’autres sous la pression de sollicitations dont ils n’ont pu mesurer à temps le caractère mensonger et inhumain.

Nous savons aussi que les Bureaux régionaux du Haut Commissariat aux Réfugiés sont prêts à vous aider pour nous faire parvenir les données pratiques susceptibles d’aider nos services à adapter notre dispositif d’accueil.

2. Un petit nombre d’entre vous sont des fanatiques et ne peuvent pas mesurer les grands pas qu’a réalisés l’histoire du Rwanda et de l’Afrique depuis les derniers trois ans.

Ces féodaux impénitents se livrent à une propagande qui tend à convaincre que le régime mwami pourra être réinstauré : grave et si grave que non seulement le régime mwami est condamné définitivement, mais encore ceux qui, dans un aveuglement inouï persistent à « combattre pour le mwami » se condamnent à périr eux-mêmes.

Ces féodaux impénitents se livrent à des tromperies destinées à leur faire donner des sommes d’argent énormes soit-disant pour aider la cause prétendue nationaliste ou humanitaire et cet argent au lieu d’être utilisé à faire vivre les réfugiés, est employé à l’achat d’armes automatiques qui ne vaincront jamais une armée régulière et soucieuse du progrès du bien commun de la République.

Ces meneurs, dont mieux que moi vous connaissez la ruse et l’incivisme, vous font participer à des opérations qu’en démocratie vous condamneriez, et contre lesquelles vous pourriez réagir efficacement ; ils vous rendent des instruments d’un néocolonialisme qui prétend occuper la place laissée par les administrations coloniales d’antan. Vos peines dans les menées terroristes servent en réalité un néocolonialisme que l’Afrique condamne.

Les vies humaines qui, malgré notre vigilance, ont péri par terrorisme, ne gagnent rien à être couvertes par les bruits de vos calomnies à l’égard du Gouvernement de la République. Qui est génocide ? Posez-vous honnêtement la question et répondez-y du fond de votre conscience.

Les Tutsis restés au Pays qui ont peur d’une fureur populaire que font naître vos incursions sont-ils heureux de vos comportements ?

Qui est génocide ? Ceux qui vous appuient et financent vos menées terroristes et fratricides vous rappellent-ils aussi que les Bahutu ne se laisseront jamais malmener et qu’à vos coups ils n’entendent pas du tout opposer un héroïsme qui serait d’ailleurs de mauvais aloi ? Qui est génocide ?

D’où viennent les armes que vous employez à terroriser vos frères des frontières ? Pour quels buts vous sont-elles données ? Quelle assise africaine, sérieuse et constructive a jamais recommandé la lutte armée comme moyen de régler un différend si différend il y a ? Les difficultés que vos menées causent au Burundi et dans les pays qui vous avaient hébergés s’inscrivent-elles dans le cadre de la promotion de l’unité africaine ? N’aident-elles pas au contraire à réassujettir l’Afrique ?

Il arrive qu’entre vous, vous vous disputiez : examinez donc le motif de cette mésentente. N’est-ce pas le fond d’humanisme qui persiste toujours chez un grand nombre d’entre vous ? N’est-ce pas peut-être la colère des plus fanatiques qui ne supportent pas que l’argent collecté serve à nourrir et habiller une femme au lieu de servir à l’achat d’armes ! Que veut dire tutsi ? « Noble » comme dans le temps ? « Seigneur » comme dans la féodalité ? « Ethnie nomade et terroriste » comme vous tendez à le faire ? ou comme c’est actuellement « séide des forces anti-africaines » ! Quand tous les gens de bien auront ouvert les yeux et reconnu la méchanceté de vos manœuvres, tutsi ne gardera plus que le sens de « séide des forces anti-africaines » ou signifiera « ethnie nomade et terroriste ».

Venons-en à votre avenir et à vos enfants. Nous vous conjurons de penser à ces êtres innocents, qui peuvent encore être sauvés de la peine où vous conduisez votre groupe ethnique. Nous le répétons particulièrement à vous tutsi : votre famille vous impose des devoirs qui sont autre chose que les machinations où vous perdez votre temps et trahissez l’Afrique en terrorisant votre pays de naissance.

Ne croyez pas avoir rempli vos obligations civiques en laissant vos femmes et vos enfants de 15 ans dans vos rangs terroristes ! Encore une fois, qui est génocide ?

A supposer par impossible que vous veniez à prendre Kigali d’assaut, comment mesurer le chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n’insiste pas : vous le devinez, sinon vous n’agiriez pas en séides et en désespérés ! Vous le dites entre vous : « Ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi ». Qui est génocide ?

Certains d’entre vous –et quel cynisme !- comptent pour l’avenir sur les étudiants tutsi et les filles tutsi. Quel terrain votre terrorisme prépare-t-il à ces jeunes gens ? Quel est l’avenir de ces malheureuses coureuses dont la mission de noyauteuse de cabaret est tout simplement ridicule ? En matière d’espionnage vous avez encore à apprendre : vous fabriquez des loques humaines qui rendront votre défaite plus malheureuse et qui rendent plus sombre l’horizon de l’avenir des étudiants tutsi.

Et cette fin éventuelle, précipitée ou lente, doit faire réfléchir ceux d’entre vous qui ont encore un sens humain.

Quant à moi, en tant qu’Africain, en tant que votre Président tant que vous vous appelez Rwandais, je vous ai donné la solution la plus réaliste. Cette solution à votre situation se résume en ces quelques points :

1. Déposez les armes, remettez-les au néocolonialisme qui vous trompe, et reprenez les sentiments pacifiques.

2. Ceux qui veulent rentrer dans leur pays d’origine sont invités à rentrer : qu’ils s’adressent soit directement à nos services administratifs sociaux, soit au Bureau régional du Haut Commissariat aux Réfugiés. Nous lui avons indiqué les données dont nos services ont besoin pour le dispositif d’accueil.

3. Ceux qui veulent rester et s’établir dans les pays qui les ont hébergés, qu’ils s’établissent et obtempèrent aux lois de ces pays notamment en ce qui regarde la tranquillité publique. Nos services diplomatiques sont prêts à leur fournir toute l’aide possible par des démarches et des interventions auprès des autorités de ces pays.

4. Vos enfants, qui, dans l’enseignement supérieur et dans l’Université étudient avec la bourse octroyée ou cautionnée par le gouvernement, nous n’avons cessé de les encourager à revenir après leurs études servir la République. Nous avons adressé nos encouragements au bienfaiteur qui, touché par la misère de vos enfants, a instauré à leur intention un collège dans un pays voisin avec les autorisations des responsables de ce pays.

Nous vous invitons à ne pas gêner le service qu’il rend à votre progéniture.

Nous ne nous sommes pas trompés dans notre politique, quand dès les débuts du Gouvernement provisoire, en octobre 1960, nous avons invité, et notre Gouvernement et tous les Pays et toutes les instances internationales, à dépolitiser votre problème de Réfugiés.

La Révolution s’est faite violente à cause de vos leaders d’alors, en novembre 1959 : votre groupe a été vaincu. Le Referendum s’est fait sous les yeux des observateurs de l’ONU, votre groupe a été vaincu. Pendant que mon Gouvernement usait de tolérance à l’égard de l’aile opposant restée dans le pays, vous avez machiné d’employer la lutte armée ; vous avez chaque fois été vaincus et en même temps vous avez causé la perte de plusieurs vies humaines. Vous mettez en œuvre l’arme de la calomnie qui se retournera contre vous quand les directeurs d’agences et journaux se seront rendus compte qu’ils aident sans le savoir le terrorisme et la subversion.

Depuis le premier juillet 1962, la République Rwandaise est indépendante : ses institutions démocratiques et démocratiquement mises en place par la volonté du peuple restent dévouées au peuple, à tous les citoyens sans exception ni discrimination. La tranquillité publique a régné jusqu’au moment où vos incursions sont venues la troubler dans la partie méridionale du territoire. Le Pays dispose à son service, d’une Assistance technique dévouée et compréhensive, recrutée dans plusieurs pays amis de l’Europe. Le développement dans tous les secteurs de la vie nationale se poursuit. Et alors, que voulez-vous avec vos incursions terroristes ? Que voulez-vous quand sous la direction de gens inconscients vous boudez l’indépendance et le développement de la République ? A quoi aboutirez-vous quand indirectement vos manœuvres inutiles jettent de la brouille entre le Rwanda et le Burundi ? En quoi vos incursions terroristes résolvent-elles votre problème de réfugiés ?

Si vous aimez le Rwanda, suivez la politique que son gouvernement prône en matière de réfugiés et qui vous est rappelée dans les quelques points que je viens d’énumérer.

Le sens commun et la fraternité africaine vous invitent aussi à suivre la ligne que nous vous indiquons : revenez pacifiquement ou établissez-vous tranquillement dans les pays qui vous ont hébergés.

Nous avons estimé nous adresser directement à vous Réfugiés, à ceux d’entre vous qui ont encore de vrais sentiments d’humanité. C’est votre droit de savoir ce que nous pensons de votre attitude et nous pensons qu’au moment où des gens de bien croient pouvoir vous aider, les précisions que nous donnons viendront comme une contribution réelle à une action que nous espérons susceptible d’aider à l’amélioration des conditions de vie de vos familles et de vos adeptes. Ceux qui vous aident sont de deux groupes : rejetez ceux qui vous enseignent la guérilla et vous fournissent des armes pour le terrorisme ; écoutez ceux qui, avec nous, vous invitent à des sentiments pacifiques et à la tranquillité ; optez pour l’une ou l’autre des positions constructives du Gouvernement rwandais.

En tant que votre Président, je vous ai indiqué ces positions. Espérons qu’il n’est pas trop tard ; que vous vous remettiez dans la ligne de la paix qui est la ligne de l’Afrique et du Monde civilisé d’aujourd’hui.

Quant aux Tutsi qui vivent dans le pays, ils jouissent non pas évidemment du titre de « seigneurs à statut spécial » mais de tous les droits reconnus aux citoyens dans n’importe quel pays démocratique. Ne les trompez plus.

Vous pouvez savoir du reste que notre tolérance à l’égard des opposants a permis à votre terrorisme d’avoir des complices, soit dans la fomentation des troubles, soit dans la compilation des calomnies à notre égard dont une certaine presse s’est fait malheureusement l’écho. Que ces complices en soient punis, c’est normal, mais il sera mieux encore si vous ne les trompez plus, souvent par des manœuvres réellement inhumaines. A quoi vous serviront leur égarement, leur malheur ou l’entretien en eux d’inquiétudes qui sont causés uniquement par le terrorisme Inyenzi ? Vos dates, le 15, le 25 de chaque mois auxquelles vous dédiez vos incursions sont pour certains d’entre vos congénères un tourment quasi perpétuel. Mettez cela en relation avec vos haines personnelles, familiales, claniques : Bega et Bahindiro qu’en est-il au juste actuellement dans vos rangs ? De grâce, que personne ne continue d’insister sur ce qui peut diviser : cela ne fait que nuire à la démocratie authentique et au progrès des habitants de la République. Tout le Monde tend à l’union ; les diversités et les minorités sont respectées : la tolérance fait la loi ; c’est plus réaliste et plus constructif.

Ce que votre Président vous rappelle ici est réel. Même ceux qui ont fait de vous leur instrument de subversion néocolonialiste devraient m’écouter et revoir la disposition de leurs batteries. Ce que je vous rappelle est au-dessus des finances et des armes automatiques.

Je me suis exprimé à vous avec la franchise que vous me connaissez et que je vous dois dans la situation qu’est la vôtre.

Les massacres de la population tutsi du Rwanda en 1963-1964



"Nous recevons, en complément des informations que nous avons déjà publiées sur les massacres de la population Tutsi au Rwanda (voir " le Monde" du 17 janvier 1964), une longue lettre de Mr Vuillemin, détaché par l'Unesco comme enseignant à Butare. Témoin des innombrables scènes de violence qui ont ensanglanté l'ancien protectorat belge, Mr Vuillemin a été amené à donner sa démission, ainsi qu'un autre expert des Nations Unies, car, écrit-il, "il ne m'est plus possible de rester au service d'un gouvernement responsable ou complice d'un génocide. Je ne peux partager l'indifférence et la passivité de la grande majorité des Européens d'ici, des agents de l'assistance technique bilatérale ou multilatérale. Je la considère comme une complicité objective. Comment pourrais-je enseigner dans le cadre d'une aide Unesco dans une école dont les élèves ont été assassinés pour l'unique raison qu'ils étaient Tutsi ? comment pourrais-je enseigner à des élèves qu'on assassinera peut-être dans quelques mois ou dans quelques années ?"

Voici les principaux extraits de la lettre que nous a adressée Mr Vuillemin :

Très peuplé (sa densité est d'environ cent habitants au kilomètre carré), le Rwanda ne compte pas de villages. Les dix préfectures sont des centres administratifs et commerciaux habités par des fonctionnaires rwandais et des commerçants arabes. Seules Kigali et Butare groupent une population qui atteint presque quinze mille habitants.

La plupart des Européens, pour lesquels l'infériorité des Noirs est évidente, ne se soucient des affaires publiques que dans la mesure où elles les concernent directement. Lorsqu'ils apprennent les persécutions dont sont victimes les Tutsi, ils y voient la preuve de la "sauvagerie nègre", cherchent des justifications à leur indifférence, soucieux avant tout de ne pas "s'attirer d'ennuis" de la part d'un gouvernement ombrageux, tant ils savent qu'ils occupent, dans ce pays au climat si agréable, une position dont ils ne sauraient espérer l'équivalent en Europe.

Les missions, très nombreuses, sont dans une situation fausse : heurtés dans leurs sentiments chrétiens, la presque totalité des missionnaires se préoccupent surtout de sauvegarder les positions de l'Eglise, dont l'influence politique est énorme. Des liens très étroits unissent l'Archevêque Perraudin au Président de la République, Mr Kayibanda, qui est aussi le chef du Parmehutu, parti quasi unique.

Il n'y a pas d'autre presse que les bulletins mensuels publiés par le Gouvernement et par l'Archevêché ; la radio est gouvernementale et jamais elle ne s'est fait l'écho des évènement intérieurs de décembre et janvier dernier. Aucun journal étranger n'a de correspondant régulier, ce qui explique pourquoi le Rwanda vit pratiquement hors du monde.

Fèodalité et révolution sociale

C'est au quinzième siècle que les Tutsi, probablement venus d'Ethiopie, pénétrèrent au Rwanda et y instaurèrent des structures féodales, différentes cependant de notre féodalisme médiéval. Les seigneurs Tutsi n'étaient que relativement riches, et si quelque Hutu était devenu corvéable en échange d'une vache, objet de prestige plus que de richesse, il faisait partie d'une minorité au sein des Hutu eux-mêmes, comme son "seigneur" Tutsi faisait partie d'une minorité au sein des Tutsi.

Dans les années 1950, la majorité de la population était composée de petits propriétaires Hutu aussi bien que Tutsi. La Belgique cependant, n'a pas cherché à porter atteinte à ces structures, jusqu'à ce que les élites Tutsi s'affirment nationalistes (... ).

...le gouvernement rwandais se montre philo-occidental et bigot - d'une bigoterie qui irrite même certains pères -. Faute d'idées sur le développement (la mise à l'écart des élites Tutsi ne pouvait qu'agraver cette carence), la haine raciale lui tient lieu de programme. La présence de réfugiés aux frontières lui permet d'autre part d'agiter la menace d'un danger extérieur et de réprimer toute critique à l'intérieur. S'il est vrai que de petits groupes Tutsi de l'extérieur ont tenté des incursions, ces tentatives ont toujours été facilement repoussées ; elles fournissent toutefois l'occasion d'accroître la discrimination raciale : les cartes d'identité mentionnent le groupe ethnique, les bourses d'études en Europe sont réservées aux Hutu, l'accès à l'enseignement secondaire est régi par des contingents calculés selon des critères raciaux.

La tuerie systématique

Au cours des évènements de septembre, motivés officiellement par l'incursion d'un petit groupe Tutsi en provenance du Burundi et qui n'eut aucune suite, on procéda dans tous les centres, à l'arrestation systématique de tous les Tutsi évolués ; on les entassait dans des prisons où ils étaient frappés, pressés, laissés sans nourriture. A Ciangugu, on chargeait 80 Tutsi sur des camions et on les fusillait dans la forêt de Congo-Will après les avoir poussés dans un ravin.

Si ces faits représentent une élimination de suspects (tout Tutsi évolué étant suspect) au mépris des garanties judiciaires les plus élémentaires, la répression exercée dans la préfecture de Gikongoro constitue, elle, un véritable génocide. Excitées par le préfet, les bourgmestres et les commissaires du Parmehutu, des bandes de tueurs exterminèrent systématiquement, du 24 au 28 décembre, les Tutsi. Dans la plupart des cas les femmes et les enfants ont été également assommés à coups de massue ou percés de lances. Les victimes sont le plus souvent jetées dans la rivière après avoir été deshabillées.

Le nombre total de morts est difficile à évaluer ; on peut cependant tenir pour certain celui de 8000, et pour probable celui de 14000 dans la seule préfecture de Gikongoro. Le fait qu'une extermination systématique n'a été appliquée que dans cette préfecture prouve que ces massacres ont été organisés ; il y a lieu de craindre qu'il en soit de même pour d'autres préfectures, et qu'un plan de "nettoyage" soit établi. Le gouvernement aurait-il sans cela décliné l'offre des Nations Unies d'envoyer des observateurs (...) ?

De toute évidence, ces évènements ne sont pas un accident ; ils sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue. Une réconciliation raciale aurait en effet obligé le gouvernement de Mr Kayibanda, qui est l'objet d'un véritable culte de la personnalité, à un partage du pouvoir avec des élites qui sont maintenant assassinées.

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